Truelle et trous de poteau, une expérience en archéologie : le chantier du Corboulo (Morbihan)

Malgré une grande passion pour l’Histoire et l’Archéologie depuis toujours, ma première expérience dans les études supérieures fut un BTSA en Gestion et Protection de la Nature à Carcassonne. Après avoir fini cette formation, j’ai décidé d’entreprendre une double licence en Histoire et en Archéologie. A la suite de ces trois années, j’ai choisi de consacrer ma formation à l’étude de la période médiévale, je me suis donc tourné vers le Master Mondes médiévaux.

Le CNRTL définit l’Archéologie comme suit : « Science qui a pour objet l’étude des civilisations humaines passées à partir des monuments et objets qui en subsistent ». Cependant, il faut aller au-delà de cette définition encyclopédique et avoir conscience que l’archéologie c’est aussi de nombreuses rencontres humaines, de la poussière et de la boue, mais aussi et surtout une très grande passion. Ainsi, j’ai eu la chance, au cours du mois de juillet 2021, de vivre cette aventure au cœur du Centre Bretagne sous la pluie et le froid armoricains, mais aussi avec le soleil et la chaleur de l‘été. Ces quelques lignes ont pour but de vous présenter le site en question et, peut-être, vous donner envie de fouiller à votre tour !
Nous voilà donc partis au Corboulo en Bretagne (Morbihan, Saint-Aignan) où la fouille s’est déroulée sur tout le mois de juillet. Nous avons eu la chance d’avoir à la semaine 2 et 3 un très beau temps nous permettant de rattraper le retard accumulé à la semaine 1 pour cause de pluie importante. Le Corboulo est un site archéologique médiéval inscrit à l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques. Implanté à 1,1 km de la commune de Saint-Aignan, le site est une motte castrale qui domine l’un des affluents du Blavet : le Corboulo. Bien que connu depuis le XIXe siècle, son intérêt archéologique est apparu seulement depuis 2020, avec une première campagne de fouilles – suivie d’une seconde en 2021 – menée par l’archéologue Victorien Leman¹.

La première étude du site, datée de 1847, mit tout d’abord en lumière son aspect monumental. Par la suite, la seconde, remontant à 1902, ne permit pas d’apporter de nouvelles informations. En 2009 enfin, l’archéologue Lucie Jeanneret réalisa un relevé microtopographique mettant quant à lui en évidence sa morphologie. Lucie Jeanneret conclut que cette motte castrale quadrangulaire est caractéristique de celles qui s’implantent dans la région au cours du XIIe siècle.
Ces différentes études, mais surtout les traditions orales, prêtent de nombreuses origines à cette motte castrale : elle est tantôt liée à un tumulus, tantôt à une mine d’or gauloise, tantôt à la résidence du roi breton Morvan présent en Centre Bretagne au IXe siècle ou, enfin, aux templiers. L’hypothèse renvoyant à une résidence royale serait appuyée par le toponyme « Motten Morvan » que l’on retrouve déjà dans les documents de l’étude de 1847. Il faut toutefois souligner que le terrain appartenait à une famille portant le nom Morvan. Ces origines sont souvent remises en cause par les fouilles – comme le cas du tumulus, des templiers ou de la mine d’or gauloise ainsi que d’autres que l’on ne peut pas rejeter totalement, mais que l’archéologie n’a, pour l’heure, pas pu confirmer. Si une partie du mobilier trouvé en fouille traduit une présence aristocratique, le lien avec le roi Morvan est donc plus difficile à établir.

La motte castrale est dotée aussi d’une fortification fossoyée. L’ensemble du site fonctionne en deux espaces distincts. Ainsi, au nord, une enceinte en forme de L d’une superficie proche de 40 m × 50 m borde la motte. Au sud de cette enceinte a été conservée une motte quadrangulaire de 5 m × 7 m. L’ensemble est protégé par des fossés et des talus (fig.1).

La fouille de 2021 consistait à ouvrir une grande aire dans la partie qui a été identifiée comme étant la plus ancienne du site, au pied de la motte castrale, dans la continuité du secteur 3 de 2020. Cette aire de 190 m2 a été, dans un premier temps, défrichée. Une pelle mécanique est intervenue par la suite. La fouille de 2020 a en effet démontré que le substrat ainsi que les structures n’apparaissent qu’après le décapage de la terre végétale d’une épaisseur de 20 cm (fig. 2). Après la campagne de 2020, les datations ainsi que les interprétations retenues pour ce site ont été reconsidérées. Ce réexamen fait suite aux résultats de la fouille et des datations par radiocarbone qui ont été effectuées. Ces résultats ont permis de se rendre compte que l‘habitat était protégé par un fossé et deux talus dont l’un était probablement renforcé par une maçonnerie. Selon ces mêmes résultats, le site serait divisé en deux phases : une première, entre le VIIIe et le début IXe siècle, avec la présence dans le secteur 3 de mobilier indiquant potentiellement une présence aristocratique ; une seconde, commençant vers l’an mil, avec l’élévation de la motte. Actuellement il est encore difficile de comprendre cette réutilisation. Le site semble bien plus complexe puisqu’il livre une histoire totalement inconnue par rapport aux origines qu’on lui attribue généralement. De plus, cette première fouille a conduit à de nouveaux questionnements sur le fonctionnement du site, son organisation, un constat qui poussa à mener la seconde fouille en 2021.

La première semaine de fouille s’est avérée compliquée, le temps extrêmement pluvieux par moment nous a contraints à des conditions de travail difficile pour effectuer la première tâche que l’on nous a confiée. Cette dernière consistait à finaliser le décapage effectué par la pelle mécanique, à un nettoyage donc de la zone permettant de mettre en évidence les différentes structures (fig. 3). La délimitation de la zone de fouille en reformant les bermes² fut également effectuée la même semaine.
Une fois ces étapes réalisées, le temps plus clément nous a permis d’avancer plus rapidement, mais aussi de rattraper le retard de la première semaine. Nous avons ainsi pu commencer la fouille des trous de poteaux et de piquets, d’une tranchée et de fonds de cabanes ; nous avons aussi réalisé des prélèvements de charbon ainsi que le tamisage du fond de certaines structures afin de récupérer les possibles éléments invisibles – os, grains, etc. En tant que fouilleurs, nous avions également d’autres tâches à effectuer comme le remplissage des fiches US³, des photographies et des dessins pour l’enregistrement des données ; nous devions aussi réfléchir au fonctionnement du site. À la suite du décapage, nous avons pu repérer un grand nombre de structures en négatif⁴. Lors de la fouille de 2021, quelques objets métalliques ont été mis au jour confirmant bel est bien l’hypothèse d’une occupation aristocratique, avec la découverte d’objets équestres. De nombreuses traces de charbon ont également été trouvées et mises en sachet afin d’entreprendre une datation par radiocarbone. L’espace de la fouille de 2021 désigné « secteur 4 » s’est organisé en trois sous-secteurs (4a / 4b / 4c). La numérotation des US suit la numération des secteurs : le secteur concerné par la campagne de 2021 étant, comme nous l’avons dit, le numéro 4, la première US commençait à 4000.

Cependant, parmi les quatre sous-secteurs (fig. 4) – 4.a, 4.b, 4.c, 4.d – celui qui était composé du plus grand nombre de structures était le 4.b (fig. 5). Il était constitué d’un très grand nombre de trous de poteaux et de piquets isolés ou à l’intérieur d’autres structures mais aussi de plusieurs fonds de cabanes et d’une très longue tranchée située vers la berme côté sud-est. Cette longue tranchée correspond à l’US 4047 (4048) et forme un des alignements que l’on peut observer dans ce sous-secteur (fig. 7). Cette tranchée était elle-même coupée par des trous de poteaux. L’aménagement supposé pour cette tranchée laisse à penser qu’il s’agissait d’une palissade. Le second alignement se trouve dans la partie nord. Il correspond à une succession de trous de poteaux avec empreintes de sablières : 4057 (4058), 4079 (4080), 4107 (4108) et 4087 (4088). Cet ensemble se trouve dans le prolongement direct de structures découvertes dans le secteur 3 fouillé en 2020. Le long de la tranchée 4047 s‘observent également trois fonds de cabanes, notamment le 4061 (fig. 6) qui a une forme quadrangulaire en creux d’environ 2,50 m de côté avec une profondeur de 25 cm. À l’ouest de l’US 4061, on retrouve un autre fond de cabane également contre la tranchée 4047 : il s’agit de l’US 4095. On remarque également des structures à l’intérieur : trois trous de petits poteaux ou de piquets alignés ouest-est en diagonale. Ils pourraient correspondre à des structures de soutènement de la cabane.

Les différents fonds de cabane ont des superficies comprises entre 4 m2 et 6 m2 ; très proches, ils ne sont séparés que par une vingtaine de centimètres. D’autres fonds de cabane également alignés sont présents dans le secteur 4.b, mais ils ne sont pas accolés à la tranchée et l’un d’entre eux a livré du mobilier. Des graines ont également été retrouvées dans le comblement après tamisage et ont pu être datées par radiocarbone. La fourchette chronologique qui en résulte est la plus récente dont nous disposons : 1040-1214. Les structures restantes de ce sous-secteur semblent dispersées de manière non structurée et peuvent être interprétées comme des trous de poteaux et/ou de piquets. Une dernière structure est à présenter pour ce sous-secteur, très particulière par ses dimensions et sa forme. Il s’agit de la 4006 (4007). Elle ne correspond ni à un fond de cabane ni à un trou de poteau. Elle se compose d’une grande fosse circulaire de 2,20 m à 2,50 m. Au fond de cette dernière, une autre fosse parfaitement circulaire aux parois droites, de 68 cm de diamètre avec une profondeur de 15 cm, était présente. Cette morphologie très particulière ne renvoie à rien d’autre sur le site. Le charbon qui y a été prélevé a permis d’avoir une datation comprise entre 992 et 1050, renvoyant aussi aux datations obtenues en 2020.

Nous avons donc fouillé pendant quatre semaines, ce qui a permis par exemple d’affiner les datations d’occupation du site et d’émettre l’hypothèse d’une présence aristocratique. Néanmoins, les questions restent nombreuses et la validation d’une origine liée au roi breton Morvan demeure très incertaine. La fouille a pu se terminer par chance sous un beau soleil. Les photos prises, les derniers relevés réalisés et le matériel rangé, il restait une dernière chose à faire : protéger le site. Ainsi, de grandes étendues de bande de géotextile (fig. 8) ont été déposées sur le niveau de fouille et permettront aux futurs fouilleurs de le retrouver sans recommencer depuis le début. Par la suite le site a été rebouché afin de le préserver.

1. Je remercie une nouvelle fois Victorien Leman pour m’avoir permis de vivre cette expérience et pour m’avoir fourni les informations et certaines images, sur lesquelles je m’appuie et qui sont issues de ses rapports de fouilles. [↩]
2. Limite fixée de la zone de fouille [↩]
3. Unité stratigraphique ou US : unité d’enregistrement en fonction de la composition de la terre (changement de couleur, composants, matériel archéologique etc.) dans le but d’obtenir un enchaînement chronologique. [↩]
4. Les unités stratigraphiques ou US négatives correspondent aux traces laissées par la structure, comme un creusement ; elles sont accompagnées par des US définies comme le comblement du négatif (US entre parenthèses). [↩]

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