“La thèse, un choix raisonné et de cœur” : entretien avec Kshanti Gamage
propos recueillis par Océane Rosello

Kshanti Gamage est actuellement en deuxième année de doctorat en histoire de l’art médiéval à l’université Paul-Valéry, Montpellier 3.
Quel est ton parcours avant ton entrée en master ?
Un peu atypique en fait ! J’ai quitté le secondaire en seconde et n’ai jamais passé mon bac ! Même si les études supérieures me faisaient rêver, je n’avais pas des résultats assez bons pour poursuivre en filière générale. Après avoir obtenu un CAP et travaillé 10 ans en tant qu’artisan d’art, je suis rentrée à l’université sur validation d’acquis professionnels. Là ça a été une révélation : l’autonomie m’a permis d’avoir d’excellents résultats, ce qui ne m’était jamais arrivé. Arrivée en fin de licence Histoire de l’Art, je n’ai pas eu envie de m’arrêter là …
Tu as fait le master Mondes Médiévaux : peux-tu nous en parler ?
C’est un master très enrichissant, tant sur le plan théorique, pratique, qu’humain. La « double-casquette » Histoire/Histoire de l’art, mais aussi Occident/Orient m’a ouvert des horizons. On se diversifie, on puise un peu partout pour se construire une vision du Moyen Âge. Au-delà des cours, il y a l’équipe du CEMM, pluridisciplinaire, soudée. Dès le master, on commence à connaître tous les membres, à qui on peut demander des conseils, des avis.
Sur le plan théorique, c’est un master avant tout axé sur la recherche et la réalisation de deux mémoires permet de bien se figurer ce en quoi la recherche consiste. C’est un prélude à la thèse, certes, mais aussi une véritable construction de l’intellect, qui peut grandement servir en s’arrêtant après le M2. On apprend la rigueur et la persévérance, on élabore notre propre méthode de travail, on appréhende les sources historiques, on se confronte, on galère aussi !

Quel est ton sujet de thèse ? Comment l’as-tu choisi ?
Ma thèse porte sur les images de la parure cérémonielle des hauts dignitaires de l’Église à la fin du Moyen Âge en France et Angleterre. Dès le master, j’ai choisi d’étudier des objets que l’on considère aujourd’hui issus des « arts mineurs » (orfèvrerie, ivoirerie). Au Moyen Âge, il en était tout autrement. Cela reflète aussi certainement mon appétence pour les œuvres anonymes, les petits objets « artisanaux », même si la notion artisan/artiste est étrangère à la période médiévale. J’ai donc commencé par étudier les crosses des évêques, abbés et abbesses à partir du XIIIe siècle. Arrivée en fin de master, je comprenais l’intérêt de « relier » les éléments de la parure, en m’intéressant aux mitres, puis à l’apparat textile. J’avais envie de comprendre le système, le discours, la façon dont chaque élément est pensé et agencé, le rôle qu’il tient dans la liturgie, sa portée performative etc. Est-ce qu’une crosse d’évêque est pensée de la même façon qu’une crosse d’abbesse ? Quelle construction idéelle, théologique et sociale sous-tend les images de la parure ? Mon sujet de thèse essaie de faire vivre ces objets aujourd’hui admirés derrière les vitrines des musées ou des trésors d’églises, en les recontextualisant un maximum. Mes recherches s’inscrivent dans le grand courant historiographique des visual studies, animal studies et gender studies. Pour résumer, il s’agit de contribuer à l’écriture d’une histoire visuelle de la paramentique médiévale.

Comment as-tu obtenu ton financement pour la thèse ?
J’ai obtenu un contrat doctoral en constituant un dossier expliquant mon projet de thèse, puis en le présentant à l’écrit. J’ai eu le soutien de plusieurs membres de l’équipe du CEMM pour cela, notamment d’A. Trivellone et de G. Mallet. Grâce à elles, j’ai été « coachée ». C’est une véritable épreuve qui mêle concours et entretien d’embauche.
Un conseil pour les étudiants souhaitant s’inscrire en thèse ?

L’important c’est d’en avoir vraiment envie ! Si la chose sonne un peu comme une évidence, alors il faut foncer. Le choix du sujet est primordial : il faut s’imaginer travailler dessus pendant des années. C’est bien entendu un choix raisonné, mais cela doit être également un choix de cœur.
Je dirais aussi qu’être en thèse, c’est pouvoir lier les aptitudes intellectuelles (rigueur, méthode, organisation, créativité etc.) à un profil psychologique spécifique (solitude, autonomie, dynamisme, doutes, persévérance).
Ensuite, tout est une histoire de communication, avec son futur directeur de thèse, l’équipe du laboratoire …
Un mot pour finir ?
Je vois que les étudiants doutent souvent de l’ « utilité » du master médiéval. Ils imaginent mieux – en tous cas en histoire de l’art – les débouchés en contemporain par exemple. Pour certains métiers, l’important est d’avoir un grade universitaire, un bac + 5, quelle que soit la discipline. Il faut aussi savoir valoriser son parcours, ou le coupler avec autre chose si l’on souhaite faire un métier dans la communication, la conservation, le monde muséal, les archives etc. À mes yeux, l’esprit utilitariste qui anime notre société amène à la peur, et la peur est un très mauvais conseiller. Il faut toujours se dire que les études universitaires ne bloquent jamais, au contraire, elles ouvrent vers de nouvelles perspectives. On ne se coupe pas du monde en étudiant le Moyen Âge ! On voyage dans le temps, on apprend, on s’ouvre l’esprit, on élabore de précieux outils pour appréhender et comprendre le monde d’aujourd’hui. Je crois que ces qualités-là, on les obtient grâce au master et qu’il ne tient qu’à nous de les valoriser dans le monde du travail.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Océane Rosello (8 juin 2020). “La thèse, un choix raisonné et de cœur” : entretien avec Kshanti Gamage. Master Mondes Médiévaux – Montpellier 3. Consulté le 22 mars 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/ricf