Réagir à la catastrophe dans les mondes arabe et arménien au Moyen Âge : la thèse d’Alexis Guzman
Après l’obtention d’une licence d’histoire et d’un master Mondes Médiévaux, tout deux au sein de l’université Paul-Valéry Montpellier III, Alexis GUZMAN poursuit son cursus avec une thèse sous la direction d’Isabelle Augé et la codirection de Boris James, dont le titre est Réagir à la catastrophe dans le Moyen-Orient médiéval : sentiments, expressions, perceptions et usages des émotions dans les mondes arabe et arménien (XIIIe – XIVe siècles).
Ses mémoires portaient sur la peur au Moyen-Orient, avec son utilisation militaire et politique par l’empire Mongol, puis sur des thèmes plus spécifiques, comme la peur de la mort en Arménie et la peur des catastrophes naturelles dans le monde musulman. Sa thèse s’inscrit dans cette continuité avec l’étude des émotions lors des catastrophes politiques et environnementales au Moyen-Orient, dans les mondes arabe et arménien.
Entre le XIIIe et le XIVe siècle, le Moyen-Orient est le théâtre de plusieurs catastrophes politiques et environnementales qui ont modifié durablement cette région. L’invasion mongole, qui débute en 1230 et se poursuit jusqu’en 1260, marque la fin du califat de Bagdad par l’exécution du calife en 1258. En Égypte, la dynastie Ayyoubide disparaît en 1250 par un coup d’État des Mamelouks, des esclaves soldats d’élite qui emploient leurs compétences martiales pour justifier leur position et se maintenir au pouvoir pendant près de trois siècles. Au XIVe siècle, Tamerlan revendique l’héritage mongol et envahi la région, provoquant des ravages conséquents entre 1371 et 1394.
Les catastrophes sont également environnementales, avec la tristement célèbre Peste noire qui frappe le Moyen-Orient en 1346 avec des vagues successives de cette épidémie jusqu’au XVIIIe siècle. Enfin, il faut ajouter à cela les catastrophes environnementales, telles que les séismes, les tempêtes ou les sécheresses, qui frappent cette région à risque tout au long de ces siècles.
Fig. 1 : Išāq Nišābūrī, Qisas-i Qur‘an, Lot fuyant Sodome (BnF, Persan 54, f. 40r, 1581).
Les catastrophes naturelles sont peu représentées au Moyen-Orient, autant en Arménie que dans le monde arabe, à l’exception notable des catastrophes des livres saints, tel que le Déluge ou ici, la destruction de Sodome et Gomorrhe.
Ces catastrophes représentent des tournants majeurs dans les sociétés qui les vivent ou les font subir. Toutefois, au-delà de l’importance de la transformation politique et sociale survenue lors de ces phénomènes, c’est un ensemble de sentiments et d’émotions qui touche les populations qui en sont victimes, et notamment la peur. Pour comprendre les catastrophes et les changements qu’elles ont provoqués, il ne suffit donc pas d’analyser leurs origines et leurs conséquences politiques ou environnementales, il faut appréhender comment elles ont été vécues par la population et les élites, et quelles émotions ont été ressenties et exprimées. Grâce à une approche comparatiste entre le monde arabe et arménien au travers des chroniques, de l’épigraphie, de l’archéologie et de l’iconographie, il est possible de comprendre les sentiments ressentis, les émotions exprimées, leurs perceptions et l’usage fait de ces émotions lors de ces catastrophes. De plus, bien que cette thèse soit en histoire, une approche pluridisciplinaire par l’emploi de toutes les sciences du sensible, tel que l’anthropologie, l’ethnologie, la psychologie ou la sociologie, permet une approche complète des émotions et de tous ces aspects étudiés.
Ainsi, cette thèse a pour ambition de compléter l’histoire des émotions au Moyen-Orient, un champ d’étude encore largement inexploré. En comprenant les émotions dans les sociétés musulmane et arménienne, il est possible de mieux appréhender les réactions et décisions des populations de ces sociétés orientales lors des catastrophes. C’est la compréhension des catastrophes du passé qui permettra de mieux comprendre les catastrophes du présent et leurs perceptions par la population.
Khatchkar de Sargis
Les khatchkars sont des croix de pierre sculptées représentant l’arbre de vie et symbolisant la résurrection du Christ. C’est à la fois une œuvre funéraire et commémorative, généralement inscrite pour conserver la mémoire d’un ou plusieurs défunts, ou d’un événement particulièrement important, comme des invasions, des destructions ou des massacres.
Fig. 3 : Rašīd al-Dīn, Ğāmi‘ al-tawārīḫ, Le siège de Bagdad par les armées mongoles de l’Ilkhan Hulëgu en 1258, (BnF, Supplément persan 1113, fol. 180v-181).
La prise de Bagdad par les Mongols (1258) a l’effet d’une onde de choc dans le monde musulman. La population est massacrée, la ville est pillée et le calife Abbasside est exécuté, marquant de fait la fin du califat Abbasside après
cinq siècles de règne.
Quelques lectures sur le sujet…
- BARAZ Daniel, Medieval Cruelty : Changing Perceptions, Late Antiquity to the Early Modern Period, Ithaca, Cornell University Press, 2003.
- BELEDIAN Krikor, “L’expérience de la catastrophe dans la littérature arménienne”, Revue d’histoire arménienne contemporaine, vol. 1, 1995, p. 127-197.
- BOQUET Damien et NAGY Piroska, Le sujet des émotions au Moyen Âge, Paris, Beauchesne, 2008.
- COREY Robin, La peur : histoire d’une idée politique, Paris, Armand Colin, 2006 (2004).
- DELUERMOZ Quentin et al., “Sur les traces du sensible : pour une histoire anthropologique des sensibilités”, L’Homme. Revue française d’anthropologie, n° 247-248, 2023, p. 225-266.
- LABBE Thomas, Les catastrophes naturelles au Moyen Âge, Paris, CNRS Editions, 2017.
- QUENET Grégory, « La catastrophe, un objet historique ? », Hypothèses, vol. 3, n° 1, 2000, p. 11-20.
- ROSENWEIN Barbara H., Generation of Feeling : A History of Emotions 600 – 1700, Cambridge, Cambridge University Press, 2015.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
alexisguzman (18 novembre 2024). Réagir à la catastrophe dans les mondes arabe et arménien au Moyen Âge : la thèse d’Alexis Guzman. Master Mondes Médiévaux – Montpellier 3. Consulté le 23 janvier 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12pj9
